Je vous partage un regard sur mon récent déplacement au cours duquel j’ai eu le privilège d’accompagner le président Patrick Ollier et son directeur de cabinet, dans le cadre de mon mandat métropolitain à Kiev et Irpin en Ukraine pour une visite placée sous le signe de l’amitié et la coopération.
Il faut près de vingt-quatre heures désormais (contre trois heures en avion avant la guerre) pour rejoindre la capitale ukrainienne depuis Paris après un trajet ferroviaire de nuit depuis la ville de Przemyśl en Pologne à quelques kilomètres de la frontière…
Une gare que nous retrouvons après quatre heures de route depuis Varsovie et où des volontaires accueillent les voyageurs.
Dans le train (de nuit) bondé de familles et d’humanitaires, les contrôles et questions s’enchaînent au fil de minutes tant de la part des policiers polonais que leurs homologues ukrainiens et des gardes-frontières sur nos objectifs.
Après quelques minutes et avant de passer la frontière de l’Union européenne, émoi dans les couloirs avec le débarquement manu militari sur le quai de la gare suivante d’une femme avec deux enfants : elle serait russe et voulait rejoindre sa résidence à Kiev. Depuis le 1er juillet il faut un visa spécial. Déchirant.
Le wagon que nous occupons s’anime à notre arrivée. Les voyageurs voisins viennent échanger avec nous comme cette jeune femme triathlète interprète de profession qui revient du Mexique voir sa mère seule, âgée et déplacée vers Donestk qui cherche une solution pour accueillir sa vingtaine de chats qu’elle possède dans un refuge. Ou encore cet échange avec cet ingénieur informatique de Kiev, francophile père de trois enfants de retour de la banlieue de Bruxelles (qui travers l’Europe pour la 3e fois depuis leur départ précipité du pays) et réfugiés chez des collègues avec d’autres familles au début de la guerre.
Tous nous remercient pour notre déplacement dans le contexte et notre solidarité et l’aide apportée aux réfugiés ukrainiens en France et que nous voyons revenir dans leur pays.
Comment ne pas être marqué par la résilience de tout le pays et qui saute aux yeux en sortant de la gare avec ses conducteurs de taxis qui se chamaillent pour emmener au centre de la capitale les voyageurs ?!
Sur le trajet menant au cœur de la ville, peu de traces visibles de bombardements à l’exception ou presque du gros centre commercial.
En prenant la route d’Irpin au Nord de Kiev nous passons les premiers « checkpoint » et sommes escortés par des policiers locaux jusqu’au fameux pont détruit par les ukrainiens pour ralentir la progression russe et théâtre de violents affrontements où des milliers ont fui cette ville moderne pour rallier la capitale.
La reconstruction des abords est en cours et l’extrémité du pont est déjà un lieu de la mémoire et la résistance collective. Nous y sommes accueillis par l’adjointe au maire d’Irpin chargée du programme de reconstruction. Nous nous arrêtons devant le centre culturel où le stade municipal détruits par les attaques russes. Plus nous nous progressons dans Irpin, plus nous nous remémorons les images télé de ces rues en février avec des colonnes de chars et des snipers dissimulés. Nous voyons l’ampleur des dégâts pour les maisons voisines en bord de route et de grands immeubles d’habitation, parfois neufs lourdement endommagés : 60% de la ville est détruite. Sur le bord de la route, Oleksandr Markushin, le maire accompagné de ses adjointes et de sa sécurité nous y attend : c’est un homme chaleureux qui nous explique ce qui s’est passé, son rôle de maire courageux à la tête d’une brigade territoriale pour défendre sa population (110 000 habitants) libérée fin mars 2022 et les enjeux techniques et budgétaire pour réalimenter en eau sa ville.
L’hiver l’inquiète : avec des immeubles d’habitations endommagés et aux vitres brisées. Il évoque la France, l’aide et la visite récente du président de la République. Nous lui remettons une médaille symbolique pour lui témoigner notre admiration : il nous demande de mobiliser des experts pour sécuriser les travaux réalisés dans l’urgence pour rétablir les réseaux urbains à l’approche de l’hiver.
De retour à Kiev, nous nous dirigeons vers la résidence de l’Ambassadeur de France dans un quartier sous haute sécurité qui regroupe les bâtiments institutionnels sensibles dont le palais présidentiel : les militaires sont plus présents et impossible de progresser sans laisser-passer : cette réalité nous fait prendre conscience que nous sommes dans un pays en guerre où l’on recommande aux français de ne pas s’y rendre. L’ambassadeur Etienne de Poncins nous dresse un panorama de ce conflit qu’il vit avec une équipe compétente mais réduite depuis son retour apprécié des ukrainiens à Kiev après une brève installation à Lliv.
Le temps presse : il nous faut désormais rejoindre la mairie de Kiev où Vitaliy Klitcho nous attend avec son adjoint et son cabinet pour une réunion de travail dans le cadre de la coopération établie avec la Métropole du Grand Paris en mars 2018. Impressionnant physiquement et souriant l’ancien boxeur insiste sur la volonté de bâtir un pays indépendant démocratique et européen a contrario d’un pays satellite d’un empire soviétique autoritaire : « nous ne voyons pas notre avenir sans liberté »
Ce n’est pour lui pas une simple bataille pour la partition de l’Ukraine qui se joue : « Si quelqu’un en Europe pense que la guerre est loin pour lui c’est une erreur : les Républiques baltes, des Balkans ou la Pologne sont ciblées par Poutine »
Il nous rappelle urgent le besoin d’approvisionnement en armes et du risque nucléaire.
Pour le maire de Kiev, viser sa ville reste un objectif prioritaire des russes et liste les destructions ciblées contre la population cet hiver : les réservoirs de pétroles ruinés en banlieue et les centres commerciaux détruits tout comme 600 bâtiments détruits ou 220 immeubles habitation à reconstruire avant l’hiver rugueux qui débute en octobre. Avant de nous présenter en détail les projets identifiés de son programme de reconstruction que la Métropole pourrait soutenir financièrement, il s’inquiète de la volonté des russes de déconnecter la centrale de Zaporijjia du réseau national d’approvisionnement électrique à l’approche de l’hiver sous contrôle de l’armée russe depuis le mois de mars.
L’échange est riche et chaleureux. Nous sommes accompagnés par l’expertise de l’ambassadeur de France en Ukraine qui participe à cette étape concrète de coopération.
Avant de quitter l’ambassadeur, le président discussion avec un journaliste français correspondant de RFI et de Libération à Kiev qui nous parle de sa fatigue à couvrir le conflit et de l’évolution de l’armée ukrainienne, longtemps sous-estimée mais particulièrement douée pour assimiler rapidement tactique militaire et nouveaux matériels.
Avant de repartir vers la frontière polonaise en train nous marchons vers la place Saint-Michel où sont exhibées tels des trophées les carcasses calcinées de tanks, missiles et autres véhicule blindés et d’artillerie russes. Une voiture endommagée avec une mention « enfants à l’intérieur » attire l’attention dans ce décor surréaliste avec les dômes dorées de l’église en arrière-fond : sa présence est pour notre accompagnatrice le symbole de la volonté de l’armée russe de cibler également des civils innocents…
Un petit détour à pied par la place Maidan, lieu de la révolution de 2014 et nous reprenons la route de la gare où un important cortège sécurisé s’approche du train et de notre wagon : les ministres des affaires étrangères slovaques, tchèques et autrichiens repartent eux aussi par le même train, après s’être entretenus avec le président Zelensky.
Ce déplacement dans un pays en guerre s’achève mais les paroles et les images de guerre me resteront indélébiles.